L'Europe à l'avant-garde?
Comment la problématique de la fumée toxique est-elle traitée à l'international?

Depuis plus de vingt ans, je m’intéresse particulièrement à la santé et la sécurité au travail des pompiers. Enseignant au cours d’officier de santé et sécurité  au travail (O.S.S.T.), je vois à mettre à jour le contenu du cours avec l’évolution de notre situation. C’est d’ailleurs au début de cette décennie que je commençais à parler de la situation émergeante des cancers chez les pompiers. Des analyses et des études américaines tendaient déjà à démontrer que la situation était préoccupante sans en connaître les éléments, les causes réelles.

Depuis les deux à trois dernières années, nous en savons plus. Les études scientifiques se sont multipliées et nous précisent que l’exposition aux fumées d’incendie contamine le corps humain, même lorsque nous utilisons correctement nos équipements de protection individuelle, incluant l’appareil de protection respiratoire. Une récente étude faite avec le service d’incendie de la Ville d’Ottawa a démontré indéniablement que la peau est perméable et que des contaminants cancérogènes y pénètrent. Des taux inquiétants de benzène sont mesurés dans l’urine des pompiers qui ont accepté de se soumettre à cette recherche. Ils portaient tous convenablement leur ÉPI et utilisaient une protection respiratoire conforme.

Que se passe-t-il du côté de nos cousins français?

Ma participation à certaines communications publiées dans Internet m’a valu d’être appelé par des collègues français et belges pour participer à des colloques à ce sujet. C’est en juin 2017 que je livrais une première présentation lors du colloque de santé et sécurité au travail Préventica à Paris. Je faisais partie d’une équipe internationale de présentateur dont une espagnole, un américain et un belge. Jusqu’à tout récemment, le milieu de la sécurité incendie français ne voulait pas admettre le lien de causalité possible entre l’exposition aux fumées des incendies et la prévalence du nombre de cancers chez les pompiers. Certains constats ont été faits et des publications ont révélées des taux de prévalence similaire à ceux connus au Canada et aux États-Unis d’Amérique.

La CNRACL (une caisse de retraite importante en France) a publié un rapport en mars 2017 dénonçant la situation et l’urgence d’agir sous le titre « Impacts et prévention des risques relatifs aux fumées d’incendie pour les sapeurs-pompiers». Les efforts conjugués à différents niveau et des rapports faisant état de la situation ont portés fruit. En janvier dernier, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise du Ministère de l’Intérieur français convoquait les directions départementales d’incendie et de secours à une table de travail pour la réalisation d’un guide de prévention. À cela, le Ministère de l’Intérieur demandait au Ministère de la santé de réaliser des études en terre français pour avoir un portrait juste en ce pays. Finalement, il y a quelques jours de cela, le Bureau de la Doctrine de la formation et des Équipements publiait un Guide de doctrine relatif à la prévention contre les risques de toxicité liés aux fumées d’incendie.

En France, le travail doit se poursuivre. Tout comme au Québec, l’heure est de passer à l’action et introduire dans nos organisations les mesures de prévention efficace à la réduction de l’exposition aux contaminants cancérogènes. Chaque geste compte, à commencer par un virage dans notre culture et dans les comportements de tous les pompiers, tous rangs confondus.

Au moment d’écrire ce texte, je suis en direction à nouveau de la France pour collaborer aux Journées thématiques en incendie sous le thème « La sauvegarde opérationnelle et le soutien de l’intervenant ». J’ai le privilège d’ouvrir ces assises par une présentation sur la nécessite d’une prise en charge à tous les niveaux dans nos services d’incendie et sur l’importance à accorder au personnel pour les amener à changer définitivement nos comportements. Il y a moyen de faire en sorte de réduire notre contamination en adoptant des approches préventives efficaces, à très faible coût, tout en maintenant nos services opérationnels. La bonne volonté de tout un, chacun, nous permettra d’implanter efficacement des solutions pour notre bien-être et notre santé au travail.

Que se passe-t-il du côté de la Belgique?

En février dernier, la zone de secours de NAGE, dont la ville-centre est Namur, organisait un premier congrès de pompier. Le thème « Fumées…nuit gravement à la santé », s’inspirait de la mention de dangerosité que l’on retrouve sur les paquets de cigarette. Un programme avait été monté pour informer les participants sur les risques associés aux fumées d’incendie pas seulement à propos des maladies professionnelles, mais aussi sur le volet sécurité en intervention. À ce sujet, la porte s’ouvrait sur l’attaque transitoire appelée principalement l’attaque d’atténuation chez nos collègues européens.

Pour ma part, ma présentation visait à ouvrir les yeux sur cette prévalence des cancers chez les pompiers et prendre conscience que la prévention de ces maladies plus souvent mortelles chez les pompiers que la population en général commence par des gestes personnels : changements dans nos habitudes de vie et de nos comportements durant et après un incendie. Pascal Gagnon, conseiller en prévention à l’APSAM était aussi présent pour y présenter les moyens de prévention et protection préconisés au Québec, entre autre par le Guide des bonnes pratiques - L’entretien des vêtements de protection pour la lutte contre les incendies.

J’arrivais en Belgique avec l’anticipation que peu de choses existaient en matière de prévention et de réduction de l’exposition aux contaminants cancérogènes. Erreur! Les belges sont bien an avant sur plusieurs aspects dont la chaîne de décontamination et la mise en place de moyens de remplacement des ÉPI suite à une intervention. J’ai fait la visite rapide de casernes à Bruxelles, Namur et Liège. J’ai été étonné par ce qui est déjà en place. Moi qui croyais avoir pour mission de livrer de l’information sur les mesures à implanter et bien tout au contraire, j’en ai appris plus que j’en savais.

Tant à Namur qu’à Liège, le processus de décontamination au retour en caserne est déjà pensé et implanté : étape de déshabillage, dépôt distinct et processus de lavage des ÉPI et vêtements souillés, et passage sur la douche avant d’entrer dans le vestiaire propre pour ensuite accéder à l’aire de vie de la caserne.

À la caserne de zone de secours Liège 2 (www.iile-sri.be) que j’ai visité, une armoire avec le nécessaire de nettoyage sommaire des ÉPI s’y trouve. Au retour d’un feu, les pompiers laver et brosser leurs bottes de combat dans une fosse spécialement conçue avec des brosses fixes pour la semelle et les bas-côtés des bottes. Un boyau d’arrosage permet de rincer ses bottes lors de ce brossage.

Adjacent, une pièce où une laveuse d’ÉPI est installée. Depuis le lieu de l’incendie, la doublure externe des habits de combat¹ a été retirée et placée dans des sacs fermés hermétiquement dont les maillons sont solubles à l’eau. Ces sacs sont placés directement dans la laveuse : l’eau fera fondre les liens pour libérer les vêtements directement dans la cuve de la laveuse, sans même avoir eu à ouvrir le sac manuellement. Un lecteur de code à barre est installé près de la laveuse pour lire l’étiquette des vêtements lavés dans le but de tenir un registre informatisé des nettoyages et des inspections de chaque pièce des ÉPI.

 

À Namur, la caserne principale, un ancien véhicule PC a été converti en unité de remise en service du personnel sur intervention. La camionnette a été divisée en trois parties distinctes et quasi-hermétiques l’une de l’autre. La cabine de conduite du véhicule, la partie centrale pour la section « propre » et l’arrière pour la section « souillée ». Lors d’un incendie confirmé dans la zone de secours de NAGE², ce véhicule est acheminé. Suite à l’incendie, les pompiers des casernes satellites peuvent placer leurs doublures externes dans des sacs hermétiques et les déposer dans la partie « souillée » du camion. Ils font de même avec leurs appareils respiratoires et les boyaux d’incendie. De là, ils prennent une doublure selon leur grandeur, des appareils respiratoires et les longueurs de boyaux propres de la réserve située en partie centrale du camion. Tous les autres équipements sont rincés sur place avant de les replacer à bord de leur véhicule d’intervention. Les pompiers peuvent donc repartir vers leur caserne, pleinement opérationnel.

Je pourrais aussi vous parler du site de formation de la zone de secours de Liège 2 où ils font la formation en simulateur d’incendie utilisant des conteneurs maritimes. Pour réduire la menace de contamination par les fumées, un processus de décontamination a été conçu en utilisant un assemble de conteneurs maritimes. Une fois la séance de formation en caisson de feu terminée, les formateurs et les participants se rendent aux sites de décontamination à une dizaine de mètres du site de pratique, à l’abri des fumées. Ils passent au dépôt des appareils respiratoires. Ensuite, ils entrent dans une première pièce pour retirer et placer leur ÉPI dans des sacs hermétiques. Les sacs sont placés dans les bacs roulants. Ils passent dans une seconde pièce où ils retirent leurs vêtements et sous-vêtements et placés dans un autre sac hermétique et dans des bacs roulants. Prochaine pièces; les douches. Finalement, les formateurs accèdent à leur vestiaire propre à droite en sortant et les étudiants eux vont à gauche dans un plus grand vestiaire avec leur casier dans lequel il avait placé en matinée leur vêtement propre. J’ai été étonné de voir tout le détail et l’intégration du processus. Ils savent vraiment faire. Je pourrais vous parler des salles d’entretien des appareils respiratoires et de lavage des ÉPI. Toutes ses salles sont en pression négative par aspiration forcée de l’air pour limiter la quantité de contaminant dans l’atmosphère de travail.

CONCLUSION

Les pompiers européens sont aussi en avance que nous, sur des aspects différents. La conjonction des avancés en Europe conjuguées aux nôtres en Amérique nous feraient avancer encore plus vite dans l’identification des mesures de prévention et de réduction des risques associés aux fumées des incendies. Je découvre tellement de belles et bonnes choses en visitant nos collègues pompiers de partout dans le monde où j’ai la chance d’aller. Il suffit parfois de prendre quelques instants pour découvrir de nouveaux univers.

Nous avons encore beaucoup à découvrir et à faire pour freiner cette escalade du nombre de pompiers devant combattre un cancer des suites d’une exposition aux fumées d’incendie.

Je remercie tous les pompiers français et belges qui m’ont ouvert leurs portes et qui ont accepté de partager leur expertise. Je leur suis très reconnaissant.

Richard Amnotte
Directeur régional ACSIQ – Région 8
Directeur adjoint – Service de sécurité incendie – Ville de Lévis

 

(¹) À Liège et Namur, un nouveau type d’habit de combat est à l’essai. La couche externe est facilement détachable de la doublure isolante interne par l’utilisation de fermeture-éclair latérale. Je vous invite à visionner ce reportage pour en savoir plus : https://www.rtl.be/info/regions/liege/premiere-mondiale-voici-les-nouveaux-equipements-censes-reduire-les-cancers-chez-les-pompiers-a-liege-991906.aspx

(2) Suite à une loi du 15 mai 2007, les services d’incendie communaux ont été forcés de se regrouper en zone de secours. Ces zones de secours devaient être opérationnelles en 2014. La Belgique compte 34 zones de secours pour 30 528 km² de territoire et une population de 11,5 M d’habitants. La province de Namur est divisée en trois zones de secours. L’une d’elles, la zone de secours de NAGE, opérationnelle depuis le 1^er janvier 2015, protège une population 225 000 habitants sur un territoire de 829 km². On y retrouve 300 pompiers, 50% des professionnels et 50% des volontaires, ouvrant à partir de quatre casernes localisées à Namur, Andenne, Gembloux et Éghezée. D’ailleurs, ce sont les premières lettres de ces quatre noms de ville qui forment le nom de la zone de secours : NAGE. (www.zone-nage.be)